dimanche 17 février 2013

Le "cosplay-centrisme"... Les néo-otakus arrivent!

On peut me qualifier de vieux routier de la communauté (certains diront plutôt : « dinosaure réfugié dans le passé confortable d’un âge d’or révolu »). J’arpente le monde otaku depuis près de 14 ans et je hante les festivals de l’Est du Canada et des États-Unis depuis près de sept ans. De l’époque des fansites, des forums Web en anglais seulement et du VHS jusqu’à Facebook et au Blu-ray, j’ai connu bien des évolutions et révolutions de notre petit monde. Par contre, l’ampleur disproportionnée qu’a prise le phénomène cosplay ces dernières années me laisse perplexe. Peut-on parler d’un phénomène de mode comme la bulle de l’anime de la fin des années 1990 ou d’une tendance lourde qu’aurait le fandom otaku à délaisser ses intérêts traditionnels pour se concentrer presque exclusivement au cosplay, au risque de perdre la notion même de ce qu’est « être un fan d’anime »?

Certains diront que je ne fais que constater l’évolution du fandom ou alors que j’éprouve du dédain pour le cosplay et les cosplayeurs et que je souhaite les clouer au pilori.  Je crois plutôt avoir remarqué la naissance d’un nouveau mouvement chez les otakus. Un mouvement qui met généralement le cosplay au centre de l’univers du fan plutôt que l’anime, le manga ou la culture japonaise en tant que tel, contrairement à l’otaku classique qui fait de l’anime et de la recherche de connaissances sur le sujet le centre de son passe-temps et de son univers. Un mouvement qui domine la scène des festivals en ce moment.

Je crois qu’il me faut introduire un nouveau terme dans le cadre ma quête de réponses au sujet de l’énigme des festivals : néo-otaku. Je n’aime pas catégoriser les choses à outrance. Pour moi, du rock, c’est du rock, et un chat, c’est un chat. Par contre, je crois que ce groupe de notre communauté se détache suffisamment de ce qui est considéré comme classique pour au moins être défini à part.

D’abord qu’est-ce qu’un otaku?

À l’origine, cette expression n’avait pas le sens qu’on peut lui connaître maintenant :
otaku, en japonais, c’est « votre maison » et donc, par extension, une façon polie de
vouvoyer son interlocuteur. Il semblerait que cette tournure ait été très prisée parmi les
amateurs d’animation et de manga et, par extension, que le sens du terme ait évolué
pour désigner aujourd’hui toute personne se consacrant à un hobby, le plus souvent fait
en intérieur – le terme a, par la suite, acquis une connotation péjorative.

Contrairement à sa signification (au sens de monomaniaque) dans la culture japonaise,
ce terme est moins péjoratif en France, où il désigne plus généralement les fans de
manga et de japanimation (voire de jeux vidéo) sans les connotations d’isolation sociale.
Une personne peut donc être un otaku tout en ayant des activités ou divers loisirs
pendant la journée.


Donc, peut-on affirmer qu’un otaku est un geek? D’abord, qu’est-ce qu’un geek?

Depuis le début du XXIe siècle, les multiples définitions qui furent attribuées au terme
geek peuvent se résumer par leur point commun : le geek est celui qui s’évade grâce
à son imaginaire, c’est-à-dire qui se divertit grâce à celui-ci, en se passionnant pour
des domaines précis (science-fiction, fantastique, informatique…) dans lesquels il aura une connaissance très précise, et en s’insérant au sein de communautés actives de
passionnés.


L’otaku est donc un geek se spécialisant dans l’anime, le manga et les jeux vidéo nippons.
Du moins, c’est ce qu’était un otaku il y a quelques années. Où est la différence?

L’otaku classique (selon ma définition) va généralement avoir une grande passion pour les médias animés et le manga. Il se concentre sur l’accumulation de biens et d’informations liés à ces œuvres. Ce qui est important pour lui, c’est d’avoir vu les séries ou les mangas les plus récents et d’en discuter avec les autres. Il va aussi s’informer sur le contexte historique et culturel de ces derniers. Le boom des ventes d’anime à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ainsi que le très grand nombre de sites Web et forums consacrés au sujet à l’époque constituent de bons exemples de ce genre de comportement.

La passion des néo-otakus s’exprime d’une toute autre façon. Ils ne la vivent pas par l’acquisition de connaissances et le partage de ces dernières, mais par le cosplay. Celui-ci passe avant l’anime ou le manga et devient le centre de leur univers de fan. Ce qui les branche, c’est la confection de costume, le partage de connaissances relatives à leur art ainsi que la compétition (les mascarades). Je remarque que pour eux, l’anime est plus une usine à idées qu’autre chose. S’iIs conservent un grand amour pour l’anime et le manga, ils s’intéressent davantage à leur esthétique qu’à leurs racines et leur contexte. En règle générale, ils sont aussi beaucoup plus sociaux que leurs prédécesseurs et, surtout, extrêmement compétitifs.

Il y a beaucoup de preuves circonstancielles de ce que j’avance et de l’existence de cette
mouvance dans la communauté geek.

Premièrement, au cours des dernières années, les ventes de DVD d’animation japonaise
ont chuté de près de 48 % alors que la participation aux festivals a explosé. Otakuthon qui est passé d’environ 1 800 participants à sa première édition en plus de 11 000 participants six ans plus tard. À mon avis, la chute des ventes seulement due au piratage, mais en partie au désintéressement pour ces œuvres, alors que les festivals profitent de l’élan du phénomène cosplay pendant que les reste de l’industrie est en train de mourir tranquillement.

Deuxièmement, ceux qui collectionnent les guides de festivaliers n’ont qu’à regarder les horaires des festivals : il y a environ six à dix ans, la majorité des ateliers offerts portaient sur l’anime ou le manga en tant que tel ou sur des séries en particulier. Au fil du temps, les ateliers traitent de plus en plus de cosplay, de techniques de confection, de costumes, etc.

Attention, je ne dis pas que c’est nécessairement une mauvaise chose même, si ça ne fait pas vraiment avancer ce qui est au cœur de notre sous-culture. Je ne dis pas non plus que que je qualifie de néo-otakus sont des incultes ou que les otakus classiques sont tous des intellos asociaux. Je dis simplement que la communauté change et se scinde et que ses différents intervenants, comme les organisateurs de festival, devront apprendre à composer avec cette réalité afin de faire plaisir à tout le monde.

Par contre, je trouve désolant que ceux qui appartiennent à cette nouvelle mouvance aient tendance à ne pas s’intéresser aux sources de leur passion (science-fiction, anime, comics), voire à ne rien y connaître ou à s’en foutre. Suis-je le seul que ça fait sacrer de rencontrer un cosplayeur vêtu d’un très beau costume d’un comic ou d’un anime que j’adore, et qu’y n’a aucune idée d’où il vient, sinon qu’il trouvait que ça « lookait » quand il a trouvé l’image sur Google? J’ai vécu ça à plusieurs reprises... Personnellement, je trouve que c’est un manque de respect pour ses propres racines. Mais bon, je ne vise ici qu’un certain groupe restreint, j’ose l’espérer.

En tant que vieux de la vieille, j’aimerais tant que ces personnes aiment l’anime, le manga et les comics autant que moi et mes amis et voient qu’il y a autre chose que le cosplay dans notre fandom. Que tout ne tourne pas seulement autour du cosplay. Mais je sais que ce n’est pas donné à tous et que c’est une question d’intérêt, de goût et d’opinion.

Je sais que plusieurs font du cosplay, un peu par amour de l’œuvre, mais surtout par besoin de s’évader du quotidien. C’est ce qui revient le plus souvent quand vous demandez ses motivations à un cosplayeur. Et c’est tout à fait louable. Comme le disait mon ami Michael Michaud en parlant des geeks : « Nous vivons par catharsis. Nous vivons des aventures par procuration à travers le manga, l’anime, la littérature ou les comics. Les néo- otakus les vivent par le costume.

Personnellement, je trouve qu’il y a de la place pour tous dans un groupe de fans. Même si la façon d’exprimer sa passion est différente. Je ne me serais pas cassé la tête près de trois ans et demi à organiser un festival et à faire plaisir à tous le plus possible si je ne le croyais pas. Il s’agit simplement de faire attention l’un à l’autre.

Je ne cherchais pas ici à stigmatiser une partie des otakus, comme je l’exprimais au début du texte, mais de constater un état de fait. Les choses changent, certains vivent très bien avec ça et d’autre moins. J’imagine que je suis de la deuxième catégorie, même si j’accepte l’évolution de mes centres d’intérêt comme une partie intégrante de mon univers de geek. Comme quoi ce dinosaure à la peau dure n’est pas près de partir.


*Source des définitions Wikipédia